La personnalité distinctive de la nation libanaise (suite)
Prologue
Le bloc géographique : Liban, Syrie et Palestine
Certains historiens donnent au terme « Syrie » un sens assez large pour comprendre à la fois la Syrie, le Liban et la Palestine. Dans ce contexte, le terme « Syrie » est une expression purement géographique qui n’est ni politique, ni ethnique, tels que Balkan, Ibérie, Scandinave, ou même la presqu’île arabique, qui englobent plusieurs pays distincts.
A l’origine, la Syrie s’appelait Aram et sa capitale Damas. Le Liban et la Palestine étaient les pays de Kanaan. Plus tard, les Grecs ont donné le nom de Syrie à Aram, le nom de Palestine à la région Sud des pays de Kanaan et celui de Phénicie à la région libanaise.
Le Liban, la Syrie et la Palestine, pays limitrophes situés au carrefour des routes internationales, paraissent de prime abord, sur la carte, comme une entité géographique naturelle. Cependant les complexités de la formation géologique de ce rectangle, le climat et les contradictions géographiques internes ont déterminé sa triple partition nationale, religieuse et politique à travers l’histoire.
La double muraille des montagnes qui sépare le Liban de la Syrie centrale a créé deux milieux géographiques nettement distincts, tant dans le climat que dans la constitution physique. Alors que le Liban, ouvert sur la Méditerranée et isolé du désert, constitue une zone purement maritime et montagneuse, la Syrie intérieure, elle, ouverte sur le désert et isolée de la mer, constitue un plateau continental à climat plutôt désertique.
Bien que la Syrie septentrionale et la Palestine soient bordées, à l’ouest, par la Méditerranée, elles ne s’ouvrent pas moins du côte est, sur le désert syrien qui s’étend jusqu’en Iraq et en Arabie. Ouverture propice aux invasions extérieures.
Par contre, les montagnes libanaises, les plus hautes du
Proche-Orient, ont aidé les Libanais à se défendre contre les invasions
régionales.
Ces caractéristiques ont fait donc de ces trois pays, à travers les
âges, des entités distinctes et indépendantes chacune des autres.
Les cités phéniciennes, c’est-a-dire libanaises chrétiennes, accueillent favorablement les envahisseurs arabes musulmans puis s’opposent à eux.
Nous avons indiqué dans l’article précédent que les cités du littoral libanais, à savoir : Tyr, Sidon, Beyrouth, Jbeil et Tripoli, ont été soumises, depuis la conquête arabe, au gouverneur de Damas et que les Syriens avaient reçu froidement les conquérants arabes à Damas, puis les ont aidés après avoir fait de cette ville la capitale de l’Empire Arabe sous le régime des Omeyyades.
Par contre, les Libanais, qui avaient accueilli favorablement ces conquérants dans l’espoir de s’émanciper de la domination byzantine sur la mer, n’ont pas tardé à leur résister, car ceux-ci ont fermé la mer aux Libanais comme aux autres peuples.
Sous l’influence des milieux économiques chrétiens sur le littoral libanais, les marins chrétiens dans les ports de Tripoli, Tyr et St Jean d’Acre ont collaboré à la création de la flotte navale arabe de Muawiya grâce au bois des forêts libanaises. Cette flotte comptait 1700 navires commandés par les libanais et des Syriens, tous chrétiens.
Bien que les Arabes se soient soucieux de diffuser leur nouvelle religion, ils n’ont jamais persécute quiconque pour des raisons religieuses, tant que les sujets sous leur domination payaient le tribunal. Ce n’est que sous les Abbasides (750 – 1250) que la discrimination religieuse pris son départ.
La guerre entre Omeyyades et Byzantin n’avait pas cessé, entre-temps. Vers l’an 700, les communications maritimes entre l’Orient et l’Occident ont été coupées. Et la séparation entre l’Orient et l’Occident a donné naissance à deux civilisations distinctes et antagonistes l’Islam et le Christianisme. Depuis lors, les Etats islamiques successifs n’ont pas cessé de lutter contre les forces occidentales qui dominaient la mer.
Durant la grande partie de ces périodes historiques jusqu’au XXe siècle, à l’exception de l’époque de la domination des Croisés, la Méditerranée était considérée comme une zone hostile aux Etats islamiques du Proche-Orient et pratiquement interdite à leur navigation.
Depuis la conquête arabe, dit Toynbee, les ports méditerranéens ont arrête leur commerce avec l’Occident. Aussi les cités phéniciennes ont-elles connu la misère. Leurs habitants les ont désertées pour s’installer dans la montagne. Les Phéniciens sont restés donc dans leur pays, surtout en montagne, mais ont changé de langue, de religion et de travail, tout comme les Araméens chrétiens de Syrie qui sont devenus des musulmans arabes.
Sous l’impulsion des facteurs économiques et politiques, le Libanais a changé de vocation historique. Son activité commerciale maritime a cédé la place à l’activité rurale. Il est devenu ainsi paysan ou berger, et en même temps guerrier montagnard pour défendre son sol, ses convictions et ses libertés.
A partir de cette époque, le Mont-Liban est devenu le refuge des diverses minorités en quête de liberté et de sécurité. Il a aussi acquis sa personnalité singulière sur le double plan politique et national qu’il conserve toujours d’ailleurs.
Les Mardaïtes au Liban
Vers 660, les Arabes se préparaient à conquérir Constantinople, la capitale de l’Empire de Byzance, par voie de terre. Pour parer à ce danger, les Byzantins se sont adressés aux Libanais, isolés dans leur montagne, pour les aider. Ceux-ci ont répondu à l’appel dans l’espoir de voir s’ouvrir la mer à leurs activités. C’est ainsi que les Byzantins leur ont envoyé un certain nombre de Jarajima du Taurus oriental, connus sous le nom de Mardaïtes.
A la suite d’un compromis entre les Arabes et Justinien II, celui-ci a retiré une partie des Mardaïtes, évalues alors à 10.000 hommes. Ceux d’entre eux qui sont restés au Liban se sont intègres à la population locale, surtout maronite, qui affluait du nord de la Syrie au Liban depuis la fin du XIe siècle.
Les Maronites en Syrie
La première société maronite a vu le jour dans la vallée de l’Oronte où il y avait trois Églises distinctes : l’Église orthodoxe, nestorienne et monophysite. Au Ve siècle, l’Église maronite s’y est établie. La langue religieuse commune à toutes ces Églises était le syriaque, langue courante du Croissant Fertile à l’époque.
Vers la fin du IVe siècle, il y avait sur les bords de l’Oronte un ermite nommé Maron. Sa vie austère et ses prières attiraient les masses et les poussaient à se convertir au Christianisme. Après sa mort, ses disciples ont fondé, comme centre de leurs activités, le couvent de St Maron de l’Épomène sur les bords de l’Oronte. Ils ont constitué ainsi le premier noyau de l’Église maronite.
Au début du VIe siècle, la lutte entre Monophysites, assez nombreux en Syrie, et Maronites a eu pour conséquence la destruction de la plupart des couvents maronites et le martyre de 350 moines.
Les luttes religieuses que les Maronites ont dû mener contre leurs ennemis a développé en eux le sens de la société indépendante et le besoin d’élire un chef unique pour unifier leurs efforts et coordonner leurs activités. C’est ainsi qu’ils ont élu en 687 l’évêque de Batroun, Jean-Maron, patriarche.
Les Maronites se sont répandus dans les diverses régions de Syrie-Nord. Vers la fin du Vie siècle, certains d’entre eux, fuyant la persécution, ont quitté la Syrie par vagues successives soit vers Chypre, soit vers la montagne déserte du Liban, surtout la région du Nord.
Depuis la 2ème moitié du VIIIe siècle, plusieurs églises maronites se sont construites, telles que Mar Mama à Ehden (749).
La fusion entre Maronites et Mardaïtes vers 700 a été à l’origine de l’avènement de la communauté maronite et de son rôle historique sur la scène libanaise.
Dans cet article, richement documenté, M. Jawad Boulos passe en revue un certain nombre de phénomènes et événements historiques — rivalité entre l’Orient continental islamique et l’Occident maritime chrétien, l’âge d’or des Omeyyades en Syrie, la collaboration entre la Syrie chrétienne et les gouverneurs arabes musulmans dans la gérance des services publics, l’avènement du Califat abbaside à Bagdad — et analyse leurs répercussions sur le contexte régional.