I. Influence du milieu physique sur les sociétés humaines
« L’histoire humaine plonge par toutes ses racines… dans la réalité
matérielle terrestre… sur la carte du monde, les grandes taches
d’humanité vivante se marquent longtemps aux mêmes places… Les formes
organisées de l’activité humaine doivent toujours, pour durer,
correspondre soit à des moies, soit du moins à des stades de
l’adaptation parfaite de cette activité au cadre géographique ».
1. Le milieu géographique et son action sur les hommes.
Tous les biologistes sont aujourd’hui d’accord pour reconnaître que «
tout être vivant résulte de l’interaction de deux composantes
essentielles : le patrimoine héréditaire et le milieu physique ».
Le milieu physique ou géographique, c’est-à-dire « l’espace matériel et
les conditions naturelles qui entourent et influencent les êtres vivants
», agit à tous les moments de la vie, depuis la fécondation jusqu’à la
mort. L’ensemble de ces facteurs exerce sur l’organisme une action
importante, « non seulement en biologie et en physiologie, mais aussi en
psychologie ». Il marque les individus de traits généraux plus ou moins
communs, tant physiques que psychiques. Placé dans de nouvelles
conditions naturelles, l’organisme s’adapte à celles-ci, en y répondant
par « des changements physiologiques et psychologiques, qui peuvent être
ou non accompagnes de changements morphologiques ». « La répartition
générale des diverses races qui constituent aujourd’hui l’espace humaine
est en corrélation évidente avec la géographie actuelle » (E.
Cavaignac).
« Le milieu physique résulte à la fois du climat, de la nature du sol et
de la situation géographique » (Mortet). Ce sont surtout le climat et
la nourriture fournie par le sol qui marquent les êtres vivants d’une
empreinte particulière et durable. « Il est incontestable que la
sécheresse, l’humidité, la plus ou moins grande violence du vent, la
chaleur, la lumière, l’électricité même peuvent modifier temporairement
ou d’une façon permanente les caractères personnels des êtres vivants,
animaux ou végétaux, l’abondance, la rareté, la nature de l’alimentation
ont une influence plus grande encore ».
« Le climat stimule ou ralentit l’activité de l’homme. Froid, il
développe l’énergie, l’aptitude ou travail, le goût de l’indépendance…
Chaud, il favorise la paresse et excite les passions violentes… — Le sol
… influe sur la nourriture de l’homme, sur l’accroissement de la
population, sur la production et la répartition des richesses ; par
suite, sur la formation des classes sociales et le développement des
institutions politiques… — La situation géographique d’une région
détermine en grande partie la forme et la direction que prend l’activité
du peuple qui l’habite.
Ainsi, « dans les contrées chaudes, fertilisées par de grands fleuve,
comme celles qu’arrosent le Nil, l’Euphrate, le Cange,… l’homme trouve
sans effort le peu de nourriture dont il a besoin, la population
augmente rapidement, le taux des salaires reste bas, la condition des
travailleurs est misérable… Dans les régions froides ou tempérées de
l’Europe, où la terre est moins libérale et où l’homme a besoin d’une
nourriture plus substantielle, la population est, en général, moins
dense, les salaires sont plus élèves, l’inégalité de richesse et de
pouvoir est moindre entre les classes sociales… Dans les pays de
steppes, où la vie pastorale… impose à l’homme des fréquentes
migrations, la forme naturelle de la société est la famille, le pouvoir
est patriarcal, la propriété individuelle s’établit de bonne heure, les
hommes se groupent rapidement en tribus et en cités… Les pays baignés
par la mer, dont les côtes très découpées sont pourvues de ports
nombreux et sûrs, comme la Grèce, la Phénicie, L’Angleterre, sont des
pays de navigateurs, de commerçants et de colonisateurs. Les pays
montagneux… enferment des peuples moins sociables, jaloux de leur
liberté, énergiques et sobres.
« Le bon sens enseigne quelques rapports simples : les montagnes et les
déserts séparent, les cols et les plaines appellent les invasions, les
voies d’eau facilitent la pénétration et les échanges, les points d’eau
sollicitent le peuplement, les sols généreux font les nations agricoles,
les sous-sols riches font les nations industrielles ; les climats
polaires et tropicaux éloignent les civilisations, les climats tempères
les favorisent ».
« Enfin, le caractère spécial que donnent à l’ensemble d’une région son
climat, son sol et sa topographie, l’aspect particulier qu’y prend la
nature, exerce une influence décisive sur les conceptions religieuses,
philosophiques de ses habitants ».
En conclusion, « l’hypothèse d’un rôle actif joué par le milieu n’a plus
besoin d’être confirmé : elle ne demande qu’à être précisée… Le climat,
le terrain, la nourriture exercent une action physico-psychologique
directe. Peut-être aussi le paysage… Indirectement, la manière de vivre
que le milieu entraîne, réagit sur la formation du caractère… Le milieu
agit historiquement… la ‘situation’ invite les groupes humains au
mouvement ou, au contraire, leur limite l’espace : la « frontière » les
fait communiquer entre eux plus ou moins facilement, les met plus ou
moins en contact et en conflit… Le milieu solidaire que constituent les
parties du globe terrestre est un facteur essentiel du l’histoire ».
« On peut constater, dès le ??? –huitième siècle, écrit J. Mancini,
l’existence sur le continent américain, d’une nouvelle race
qu’indépendamment des croisements, les influences climatériques et
régionales commençaient à constituer » (J. Mancini, Bolívar et
l’émancipation de colonies espagnoles, p.21).
2. Les caractères humains et l’action du milieu.
De même que les combinaisons variées des diverses conditions naturelles
(climat, sol, situation) constituent les divers milieux géographiques,
de même les combinaisons variables des qualités et des défauts inhérents
à l’espèce humaine constituent, dans les différents milieux
géographiques, les divers caractères humains, physiques et psychiques,
individuels et collectifs.
Les caractères humains sont donc aussi variés que les milieux physiques
qui les ont façonnés. Aussi, des régions voisines et géologiquement
semblables, mais dont le climat et le sol sont différents,
marquent-elles leurs habitants respectifs de traits généraux plus ou
moins distincts. D’autre part, « il y a des milieux dont l’empreinte est
plus ou moins profonde et durable » (H. Berr). Il en est d’autres, par
contre, dont l’empreinte est presque insignifiante.
Dans les caractères humains, on doit distinguer deux catégories
d’éléments. Les uns, innés et instinctifs, sont héréditaires et
relativement permanents ; les autres, acquis et externes, sont
secondaires et variables.
a. Les caractères innés ou héréditaires
« Sous l’influence prolongée du milieu physique, de la culture
intellectuelle et morale et des nécessités de la lutte pour l’existence,
chacune des grandes sociétés ou races humaines se distingue des autres
par un certain nombre de traits particuliers, que l’hérédité transmet
d’une manière plus ou moins visible à tous les individus du même groupe
et qui composent le type propre de cette race. Quelques uns de ces
traits physiques, comme la couleur de la peau ou la forme du crème, mais
la plupart et les plus importants sont psychologiques et se rapportent à
l’intelligence et au caractère ».
« Le caractère d’un homme, psychologiquement parlant, c’est sa marque
propre, ce qui le distingue des autres. Or l’intelligence nous distingue
relativement peu… Au contraire, … nous différons plus ou moins
profondément par l’énergie et la direction dominante de la volonté, par
les tendances, les affections, les passions… Le fond premier du
caractère, c’est le naturel, c’est-à-dire l’ensemble des dons innés de
l’individu, surtout de ses dispositions actives et affectives,
antérieurement aux modifications qu’y appartenant le milieu,
l’expérience et l’habitude (éléments acquis)… Les connaissances sont
pour peu dans le caractère et restent comme à la surface ».
Les caractères innés ou héréditaires sont donc des dispositions
internes, des « comportements instinctifs ». Tels sont, par exemple,
l’énergie, la volonté, le courage, les tendances, les affections, les
passions, etc. Ces caractères, qu’on pourrait qualifier d’ethniques,
raciaux, nationaux, essentiels ou fondamentaux, marquent un peuple d’une
empreinte particulière, gouvernent son évolution et le distinguent des
autres peuples. « La thèse fondamentale de la psychologie historique de
Gustave Lebon, d’après laquelle les peuples sont gouvernés, non par
leurs institutions, mais par leur caractère, exprime une vérité capitale
et universelle ».
Modèles et fixes par le milieu physique, dont les conditions sont en
principe stables, et transmis par l’hérédité, les caractères
héréditaires sont relativement permanents. Ils marquent de leur
empreinte durable le groupement social d’une région, tout au long de son
évolution historique. Cette action « modelant » du milieu géographique,
qui ne s’arrête presque jamais, est confirmée par la science
archéologique et attestée par l’histoire.
Les squelettes fossiles exhumés en Afrique orientale, en Australie, en
Amérique du Nord et du Sud, montrant respectivement d’étroites
ressemblances avec les individus indigènes qui habitent actuellement les
régions où ces squelettes furent trouvés. Le facies général des
Egyptiens, des Assyriens, des Hittites anciens, etc., figuré sur les
sculptures ou pointures des monuments de ces peuples, se retrouve assez
semblable dans le type de leurs successeurs modernes. D’autre part, les
textes égyptiens, assyro-babyloniens, bibliques et grecs, attestent que
les caractères psychologiques des divers peuples du Proche-Orient ancien
ressemblent, dans leurs grands traits, à ceux des peuples qui habitent
aujourd’hui leurs pays respectifs.
La fixité des caractères héréditaires et fondamentaux est liée, en
principe, à la stabilité des conditions qui ont collaboré à leur
formation. D’où il suit que ces caractères peuvent être
exceptionnellement modifiés, soit à la suite d’un changement de milieu
physique, soit encore, dans le cadre d’un même habitat, lorsque le
groupe humain se mélange avec des éléments allogènes. Dans les deux cas
cependant, cette modification est plus ou moins temporaire : l’action du
milieu naturel, par sa puissance et sa constance, ramène
progressivement les caractères modifiés à l’empreinte distinctive des
populations autochtones.
Il importe enfin de noter que les mélanges apparaissent souvent, surtout
au debout, comme un facteur de rajeunissement, de régénération, de
développement. Mais cette régénération biologique, due à l’action d’un
sang nouveau, est, elle aussi généralement temporaire. Au bout de
quelques générations —- trois en moyenne —- l’action stimulante de la
greffe étrangère disparaît et le mélange, stabilisé avec le temps et
façonné par le milieu naturel, recouvre sa vie psychique d’autrefois,
telle que la déterminent les caractères ataviques et le milieu
environnant.
b. Les caractères acquis, éléments externes et variables.
Les caractères acquis sont principalement déterminés par l’éducation et
par les faits économiques et sociaux. Les diverses manières de vivre que
le milieu entraîne, et surtout le mode de travail qu’il favorise,
créent à l’homme des obligations, des habitudes et des aptitudes, qui se
répercutent dans sa vie et son activité et façonnent ses caractères
acquis ou sociaux, éléments externes, intransmissibles par l’hérédité et
essentiellement variables.
Les caractères acquis, parmi lesquels on doit ranger le langage, la
religion, la civilisation, les institutions politiques, l’organisation
économique, etc., sont : les habitudes et contenues sociales, les
connaissances spécialisées, les aptitudes particulières, les genres de
vie et, en général, toutes les satisfactions matérielles de
l’intelligence et de l’activité humaine : alimentation et logis,
habillement et parures, armes de guerre et instruments des travaux de la
paix, cultures et industries, moyens de transport et d’échanges, fêtes
et cérémonies religieuses, etc.
Comportements appris depuis la naissance, les caractères acquis, qui
sont, « en grande partie, détermines par les événements psychiques de la
petite enfance et aussi par la tradition familiale ou confessionnelle,
par la classe sociale, la communauté nationale, etc.,… ne sont jamais
transmis à la descendance… L’intransmissibilité de l’acquis, aussi bien
moral que physique, est une des certitudes les mieux se sises de la
science moderne… Tout ce que l’homme s’ajoute par le savoir, la
réflexion ou la discipline, lui reste extérieur et superficiel ». « Les
mutilations (circoncision des sémites depuis des temps immémoriaux,
pieds estropiés des chinoises, etc.) ne sont pas héréditaires ».
Éléments acquis ou appris « les connaissances sont pour peu dans le caractère et restent comme à la surface » (Marion).
« Aucune culture n’efface les instincts ancestraux » (G. Lebon).
« Tous les traits de l’homme sauvage et barbare vivent chez l’homme
civilisé, sous des formes plus ou moins atténuées, et constituent ce
qu’on pourrait appeler les dessous de l’histoire. Celle-ci nous
apparait, en regard de la durée de l’existence de l’humanité, comme le
produit toujours mal assuré de l’effort obstiné des intelligences
d’élite, comme la suprême floraison de certains éléments de culture
(langue, écriture, organisation politique), qu’un vent de barbare
pourrait, à ce qu’il semble, facilement dessécher ».
En ce qui concerne plus particulièrement la religion, il est indéniable
que « convertit un peuple (ou un individu) à une nouvelle religion ne
modifie pas sa nature… En « homme, les croyances de peinture, sans se
mêler, sans s’annuler. L’ancien ton demeure et transparait ».
En conséquence, la transformation totale ou partielle des caractères
acquis, qui s’effectue souvent à la suite d’une conquête ou invasion
étrangère, d’une révolution sociale, économique ou politique, d’une
réforme religieuse, d’une invention scientifique, etc. entraîne pas
nécessairement une transformation corrélative des caractères
héréditaires et fondamentaux, qui font l’âme des peuples et sont en
principe permanents. C’est le changement de langue, de religion,
d’instructions, de nom, qui s’est opéré à plusieurs reprises, au cours
des siècles passes dans de nombreux pays, à la suite d’une invasion ou
conquête étrangère, qui a fait croire que, dans ces divers pays et à
certaines périodes de leur histoire respective, une nouvelle race ou
famille ethnique a refoulé ou exterminé l’ancienne, et pris sa place.
En réalité, ce sont les mêmes peuples, plus ou moins remues à la suite
de leur mélange ou de leur contact avec les étrangers, qui, tout en
changeant de nom, de langue ou de religion, ont respectivement conservé
ou recouvré, avec le temps, leurs caractères héréditaires originels,
façonnés par le milieu naturel. Et ce sont plutôt les envahisseurs
eux-mêmes qui, presque toujours très inferieurs en nombre par rapport
aux indigènes conquis, sont généralement absorbes et assimiles par ces
derniers ou modifies par le milieu environnant. La longue histoire des
peuples du Proche-Orient et les multiples transformations externes dont
ils furent l’objet depuis les origines, suffiraient à prouver ces
vérités supérieures.
En conclusion, la nature externe, non héréditaire et variable des
caractères acquis fait que l’homme qui, par la science et la technique. A
transformé le monde de notre époque, n’a guère changé lui-même, depuis
les origines, dans ses instincts profonds, et l’aspect humain des
problèmes politiques et sociaux de l’humanité d’aujourd’hui ne s’est
guère modifié. Les caractères héréditaires, fondamentaux et relativement
permanents, qui gouvernent l’évolution et l’activité des hommes, ne
sont guère modifiée par ces transformations externes.
3. Individualité géographique et groupement social (peuple ou nation).
a. Individualité géographique
En général, et aux yeux de l’histoire, ce qui particularise un
groupement humain (peuple ou nation) et contribue à lui constituer une
individualité collective et une unité organique et sociale, c’est son «
union » étroite avec le territoire où il vit. « Entre une terre et le
peuple qui l’habite,… se forment des relations réciproques qui sont
d’autant plus nombreuses et entremêlées que le peuple est fixe depuis
plis longtemps sur le pays ». Des sociologues modernes « ont abouti à la
détermination d’aires fonctionnellement homogènes, a l’intérieur
desquelles les faits sociaux présentent les mêmes caractères ». « Une
individualité naturelle est une force qui attire dans son orbite le
sphère d’activité humaine » (V. de la Blache).
Nous avons vu que le milieu physique résulte à la fois du climat, de la
nature du sol et de la situation géographique, et que ce sont surtout le
climat et la nourriture qui marquent les êtres vivants d’une empreinte
particulière et durable. Mais c’est surtout le climat, c’est-à-dire la
combinaison des éléments météorologiques, qui individualise plus ou
moins un milieu géographique, en en faisant une région homogène, une
unité naturelle. « C’est le climat qui donne un caractère d’unité et
presque d’uniformité a une région géologiquement différenciée qui,
placée dans d’autres conditions météorologiques, aurait permis
l’individuation de nombreuses unités régionales »
« A latitude égale,… les climats de montagne sont plus froids que les
climats de plaine… La mer est un puissant régulateur ; s’échauffant et
se refroidissant moins vite que la terre, elle empêche les grandes
variations de température dans le cours de l’année et même de la
journée. Elle crée, par contre, des masse4s de nuages qui se résolvent
en pluies abondantes… Les moindres différences entre deux points très
voisins peuvent avoir une influence sérieuse sur leurs climats… Tous les
accidents du sol, tous les changements de direction des vallées, en un
mot, les circonstances particulières les plus diverses peuvent agir et
modifier, par des lois spéciales, les influences générales de climat ».
Il en résulte que, à l’intérieur d’une zone terrestre, le climat zonal,
qui donne aux diverses régions de cette zone un climat général qui les
apparente les unes aux autres, se subdivise en climats régionaux,
résultant de différenciations géographiques des régions. « A une échelle
encore plus petite, les climats régionaux comportent à leur tour des
facies géographiques qui sont les climats locaux, résultant chacun d’un
facteur géographique local ».
« En somme, les climats régionaux sont des facies géographiques nuançant
un même climat zonal », tandis que les climats locaux nuancent un même
climat régional.
A ces climats divises et subdivises correspondent des régions et des
sous-régions géographiques plus ou moins individualisées, qui forment
une sorte de moules naturels, où s’élaborent et se développent
respectivement des groupements sociaux plus ou moins homogènes, marqués
de traits généraux plus ou moins communs tribu, peuple, nation, etc.
Les aires géographiques individualisées, qui favorisent la formation et
le développement des collectives humaines (peuples anciens, nations
modernes) et collaborent à l’orientation de leurs caractères essentiels,
se ramènent a deux types d’unité terrestre la région naturelle et la
région historique.
Les régions naturelles « correspondent a des unités plus ou moins
étendues, mais dont toutes les parties ont un certain nombre de
caractères pareils ou analogues géologiques, topographiques ou
climatologiques ; dans leur ensemble, ces régions sont ou tendent à être
homogènes. Elles sont regardées légitiment comme des unités naturelles
».
Quant aux régions historiques, elles sont constituées par un ensemble de
régions naturelles similaires, ou dissemblables mais complémentaires.
Plus ou moins grandes comme superficie, ces régions, « que le climat et
des facteurs divers individualisent jusqu’à un certain point, … sont
plis ou moins composites, et on y peut rechercher les ‘unités
naturelles’ composantes ». Hétérogènes par définition, elles forment
cependant des unités économiques et psychologiques et sont « façonnés en
unités politiques par les vouloirs humains » (Brunhes).
b. Individualité géographique et groupement social (peuple ou nation)
Dans son milieu géographique naturel ou historique, un groupement
humain, qui n’est en général qu’un mélange ethnique stabilisé, forment
souvent une unité psychologique réelle, « Des races étrangères les unes
aux autres finissent, en vivant sur le même sol, par se confondre, alors
que des races apparentées les unes aux autres deviennent de plus en
plus dissemblables, si elles vivent sur des sols différents ». En
s’établissant à demeure dans des régions différentes, les races
anthropologiques se décomposent et se multiplient en races historiques
ou groupes ethniques, … (qui) se mêlent et se transforment dans les
peuples et les nations… L’unité physique, si elle a existé, est
remplacée peu à peu par l’unité psychique, l’unité de ressemblance par
l’unité de conscience ».
Mélanges stabilises de races, de religions, de traditions et parfois
même de langues différentes, les groupements humains, qui forment, dans
leurs territoires respectifs, des collectivités plus ou moins homogènes
(peuples anciens, nations modernes), des « nations géographiques », des
individualités ethnico-géographiques ou historiques. Ils constituent,
aux yeux de l’histoire, de la politique et de la sociologie, des unités
psychologiques, des réalités vivantes, des individualités agissantes. Ce
sont ces groupements composites qui sont les auteurs ou les acteurs des
événements historiques et politiques.
Ainsi, la France, l’Angleterre, l’Espagne se sont respectivement
perpétuées, dans leurs cadres géographiques et historiques, avec leurs
caractères propres, malgré les changements successifs de langue, de
religion, de vie sociale, provoqués par les multiples invasions qui ont
déferlé sur ces pays au cours des siècles passés. Inversement, les
Français, les Anglais, les Espagnols, qui avaient autrefois émigré an
masse au Canada, en Amérique du Nord et du Sud, ont respectivement
formé, dans les diverses contrées du nouveau monde, des groupements
géographiques, ethniques et politiques particuliers. Tout en conservant
chacune la langue et la religion de leurs pays d’origine, ces diverses
nations géographiques du continent américain sont, au point de vue de
l’histoire et de la politique, nettement distinctes les unes des autres,
comme elles le sont également des nations européennes dont elles sont
issues. Le même processus de migration et de modification ethnique s’est
maintes fois répète, au cours des âges, dans les pays du monde
proche-oriental.
c. Conclusion.
Le milieu géographique où vit un groupement humain (peuple ou nation)
est un facteur essentiel, un « support » de son histoire. L’histoire
moderne, qui cherche à expliquer le passé, considère comme indispensable
l’étude du milieu géographique où vivent les peuples, en vue de
découvrir l’influence des conditions physiques sur leur formation et
leur évolution historique et politique. La carte physique et la carte
politique d’un pays s’éclairent l’une par l’autre et sont inséparables.
« Aussi, l’essentiel, pour les hommes, est-il de connaître avec
exactitude la réalité vraie des conditions naturelles qui encadrent leur
vie, et de savoir toujours à quels faits géographiques précis ils
auront à tenir tête… Les revanches des faits physiques contrariés sont
d’autant plus cruelles que la conquête humaine avait été grandiose et
glorieuse ».
II. La nation et ses éléments constitutifs.
La confusion qui subsiste entre l’idée de nation, dans le sens moderne,
et celles de race, d’ethnie, d’Etat, de communauté linguistique ou
religieuse, etc., nous amène à essayer d’éclaircir cette question
complexe. Nous nous efforcerons d’en scruter le contenu, en marquant les
distinctions et en établissant les rapports entre les divers éléments
qui constituent la communauté nationale. Pour tenter de donner une
définition exacte de la nation moderne, il faut d’abord chercher à en
déterminer les éléments constitutifs essentiels.
Définie, au XVIIe siècle, par l’unité de gouvernement et
d’administration existant sur un même territoire, la nation désigne, à
partir du XVIIe siècle, l’ensemble des citoyens qui, de leur propre
consentement, désirent vivre en commun dans un territoire déterminé.
Elle se distingue nettement de l’Etat, considéré comme gouvernement et
administration de la société.
Il en résulte que les éléments essentiels qui constituent la nation
moderne et son principe d’existence, c’est la conscience de son unité et
la volonté de vivre ou de continuer à vivre en commun, dans le cadre
d’un territoire défini. Ce territoire national correspond soit à une
région géographique naturelle, soit à une région historique, composée
d’un ensemble de régions naturelles.
Territoire défini et volonté de vivre en commun, tels sont donc les
éléments essentiels qui constituent la nation moderne. A ces deux
éléments fondamentaux s’ajoute un nombre plus ou moins grand d’éléments
secondaires, « dont chacun peut faire défaut sans que l’unité de la
nation ne soit affectée ». Nous dirons d’abord un mot de ces éléments
secondaires, représentés par la race, la langue, la culture, la
religion, l’Etat.
1. Race, tribu, ethnie, peuple, nation.
a. La race
La race est un fait zoologique, c’est « une somme d’individus ayant une
ascendance commune et présentant en commun des caractères biologiques
suffisamment significatifs » : les races blanche, noire, jaune, etc. Ces
races comportent à leur tour des groupements plus petits ou sous-races,
dont, pour la race blanche, les sous-races méditerranéenne, alpine,
nordique, etc.
Depuis les temps préhistoriques, ces races, et surtout les sous-races
qui en dérivent, n’existent plus à l’état pur, à cause des mélangés et
des croisements qui les ont métissées. Ce sont plutôt des familles
ethnologiques, des « groupes plus ou moins dérives et mélangés, mais où
l’hérédité joue, ou semble jouer, un rôle important » (H. Berr), et qui
se différencient par des caractères anthropologiques, et surtout
psychologiques.
b. Tribu, ethnie, peuple.
Une tribu est un groupe social et politique fondé sur une parenté
ethnologique réelle ou supposée, chez les peuples à organisation
primitive ou arriérée. « L’individu, dès sa naissance, est prisonnier du
groupe dont il fait partie, qui lui impose ses sœurs, ses croyances,
son genre de vie… La solidarité des membres de ce groupe s’étend à tous
les domaines… Les rites, auxquels tous collaborent, ont pour objet
d’assurer la prospérité du groupe ».
Une ethnie ou famille ethnique est un ensemble d’individus de même
civilisation, notamment de langue et de culture communes. « L’ethnie
française englobe la Belgique Wallonne et la Suisse romande ». Il en est
de même de l’ethnie espagnole, qui couvre les républiques de l’Amérique
latine, et de l’ethnie arabe, qui englobe les pays de l’Orient arabe et
de l’Afrique du Nord.
Un peuple est un groupement organique qui peut correspondre a une
communauté ethnologique ou ethnique, à un Etat, à une communauté
linguistique, culturelle, religieuse ; appliqué aux collectivités
anciennes, le mot « peuple » est employé pour désigner des familles
ethniques, et quelquefois des groupements politiquement organisés : le
peuple romain.
2. Communauté linguistique
La communauté de langue, en dépit de son importance, ne constitue
cependant un élément constitutif essentiel de la nation que là où la
population y voit un critère de nationalité.
« La langue, écrit Renan, invite à se réunir, mais elle n’y force pas.
Les Etats-Unis et l’Angleterre, l’Amérique espagnole et l’Espagne,
parlent la même langue et ne forment pas une seule nation. Au contraire,
la Suisse, ai bien faite, puisqu’elle a été faite par l’assentiment de
ses différentes parties, compte trois ou quatre langues ».
Parler la même langue ne signifie pas nécessairement que les peuples
sont d’origine commune. D’autre part, toute langue qui est le véhicule
d’une grande culture déborde les limites d’une communauté ethnique ou
nationale. Le français est parlé dans une partie de la Belgique, de la
Suisse, du Canada et au liati, l’anglaise au Etats Unis d’Am Unis
d’Amérique, au Canada, en Australie, la portugais au Brésil, l’espagnol
dans les républiques de l’Amérique du Sud, l’arabe dans les divers pays
du monde arabe.
Il est incontestable que la langue est un facteur susceptible de créer
une parenté spirituelle, une civilisation commune. Une langue commune
crée une façon de penser et une culture commune, mais non une communauté
nationale ou politique. On a dit que la langue est « patrie de l’esprit
», de même que la religion est « patri de l’âme ». Mais la patrie tout
court est autre chose. La patrie, qui n’est pas tout à fait la nation,
c’est le pays où l’on est né.
C’est la nation « devenant, de la part de ses membres, l\objet d’une
sorte de culte, à base de reconnaissance et d’amour » (Le Fur).
Enfin, l’histoire nous montre que « le préjugé qui enchaine race,
langue, culture et peuple », même facilement a l’impérialisme et à son
corollaire le racisme, idéologie qui considère les nations étrangères
comme des groupements ethniques inferieurs, qu’il faudrait assujettir et
dominer.
3. Communauté religieuse
De même que la langue, la religion, qui constitue un puissant lien
social, n’est un élément essentiel de la communauté nationale que là où
la population lui reconnait ce caractère. La religion a puissamment aidé
certains pays à conserver leur nationalité au cours de plusieurs
siècles d’occupation étrangère, mais, après l’indépendance, ces derniers
ont transposé sur d’autres éléments les liens qui les unissent.
Tel fut le cas des nationalités chrétiennes des pays balkaniques qui
vivent sous le joug musulman des sultans turcs ottomans. Après leur
indépendance, ces dernières reportèrent sur d’autres éléments les
concepts de leur nationalité respective. Quant aux peuples de l’Orient
arabe, qui, incorporés à l’Empire musulman des turcs ottomans,
pratiquaient la même religion que ces derniers, c’est la langue arabe
qui leur permit de se distinguer de leurs dominateurs. Depuis
l’indépendance, les peuples arabes ont reporté sur le nationalisme et
l’unité arabes le concept de leur nationalité.
Mais la religion, comme, la langue, est un élément secondaire dans la
constitution de l’unité nationale. Ainsi, « la Suisse, malgré sa faible
superficie, voit sa population répartie en trois langues et en deux
religions principales et cependant le sentiment national y est très vif ;
c’est un des cas où le vouloir-vivre collectif apparait le plus
nettement » (Le Fur). On peut en dire autant du Canada, de la Belgique,
etc., ou les populations sont respectivement réparties en deux religions
principales et en deux langues.
Par contre, dans d’autres contrées et chez d’autres groupes humains
possédant une religion commune (pays et peuples de l’Amérique latine,
monde arabe, Arabie proprement dite), l’hétérogénéité est au premier
plan. L’unité de croyance religieuse n’a pas réussi à fondre ces divers
pays et peuples en une même collectivité nationale ou politique.
En réalité, la puissance du lien religieux ne se manifeste avec
efficacité que dans les sociétés primitives, attardées ou en décadence
et, en général, partout où le lien ethnique l’emporte sur celui de la
géographie et de la cité.
Le lien religieux, comme le lien linguistique, est aussi un facteur
d’union lorsqu’il s’agit de lutter contre des dangers extérieurs
représentés par des groupes ethniques de religion ou de langues
différentes. Mais la guerre et les dangers extérieurs étant par
définition temporaires, les rassemblent qu’ils provoquent ne leur
survivent pas d’ordinaire.
4. Civilisation ou culture.
Pas plus que la communauté ethnique ou religieuse, « la communauté de
civilisation » n’implique pas nécessairement l’unité politique, ni même
une organisation sociale bien définie. Ce que nous montre, sur de vastes
espaces, la préhistoire,… ce sont des hommes semblables bien plus que
des hommes associés ». Il en est autrement des communautés nationales,
où les hommes associés ne sont pas nécessairement des hommes semblables
et où « la société prend corps… dans le sol, là surtout où l’existence
devient sédentaire… (Les individus) s’associent, précisément,… sous
l’impulsion des bienfaits de l’entr’aide, de l’accroissement de vie qui
en résulte pour eux ». L’unité politique n’est pas toujours l’unité
nationale ; elle en est même souvent ‘apposé, lorsqu’elle est imposé par
la force ou la contrainte. « L’impérialisme est volonté
d’accroissement… Dans son principe, il est l’opposé de l’union pour la
vie » (H. Berr).
Le passé et le présent nous montrent que l’unité politique, quand elle
est uniquement fondée sur la communauté linguistique, culturelle et
religieuse, n’est jamais ni solide ni durable. Après la conquête
arabo-islamique, les nations géographiques et historiques de l’Orient
méditerranéen, arabisées et islamisées, ne tardèrent guère à manifester
leurs aspirations séparatistes et à restaurer leurs individualités
collectives et leurs personnalités nationales et politiques respectives.
Et ce fut toujours par la force des armes que ces diverses nations
furent continuellement replacées sous l’autorité politique des califes.
Il en fut de même des peuples de même culture, dans toutes les parties
de monde.
5. L’Etat.
Une autre conception, qui minimise la notion du vouloir-vivre collectif,
met en vedette un critère objectif, celui de pouvoir politique, d’Etat.
Pour les adaptes de cette thèse, l’Etat c’est l’incarnation de la
nation, la nation personnifiée, l’Etat-nation.
En réalité, l’Etat n’est qu’un élément constitutif de la nation
indépendante et souveraine. C’est l’organisme politique en lequel se
concentrent les pouvoirs et les droits de la puissance publique.
Distincte de la nation, dont elle n’est que l’instrument et la
manifestation visible, l’entité Etat se confond avec celle-ci dans les
rapports avec l’extérieur. D’autre part, un Etat, on l’a dit, peut
comprendre plusieurs nations, de même qu’une même nation peut être
répartie entre plusieurs Etats. D’où l’existence des Etats-empires.
Quant à l’Etat simple ou Etat-nation, vers la nation duquel évolue le
monde moderne, encore faut-il qu’il réunisse, lui aussi, les éléments
essentiels qui constituent la nation. « L’Etat-nation implique
groupement d’hommes et accord de volontés, une population cohérente et
consentante ». Faute de quoi, l’Etat-nation n’est dans le fond, qu’un
Etat-empire, un pouvoir politique imposé par un groupe vainqueur et
gouvernant à un groupe vaincu et gouverné. L’objectif principal de cet «
Etat de classes », c’est la domination politique et l’exploitation
économique de groupe des sujets par le groupe des maîtres. Ce genre
d’Etat, qui ne se maintient généralement que par la contrainte, est
essentiellement fragile. Les groupes sociaux qui y sont incorporés
contre leur gré, agissant comme des virus, risquent à tout moment d’un
détruire l’organisme.
En conclusion, les concepts de races, de langue, de culture, de
religion, d’Etat, etc., ne constituent des éléments essentiels de la
communauté nationale que s’ils sont cimentés par le vouloir-vivre
collectif, librement et clairement exprimé.
2. La nation ou peuple, aux époques anciennes
Si la nation de nation, sous le terme que nous utilisons aujourd’hui, a
été formulée à l’époque moderne, l’existence des nations est antérieure à
l’histoire. Elle remonte au jour où les premiers groupes humains
protohistoriques, composés de chasseurs et de pasteurs stabilisés dans
une même région géographique, ont combiné leurs efforts pour l’entretien
ou la défense de leur existence : besoin de nourriture et lutte contre
les bâtes sauvages ou les autres hommes. Le cas de coopération
consciente le plus fréquent d’abord est celui de la guerre. « La guerre a
été l’un des éléments les plus puissants de l’unification des peuples »
(Charnay).
En passant du stade de la vie nomade, où l’homme appartient à une tribu
ou peuplade errante, à celui de la vie agricole, urbaine et sédentaire,
qui fixe l’homme et son groupe au soi, la nation devient de plus en plus
une « expression géographique ». La fixation au sol et la coopération
qu’elle implique ont pour effet de mieux incorporer l’homme à son groupe
et d’intégrer plus solidement le groupe à son territoire.
Ce groupement primitif (tribu peuplade, fédération de clans et de tribu,
peuple, etc.) dont les individus sont généralement unis par la
communauté d’origine, a parenté raciale, des ressemblances physiques,
des affinités morales, une parenté linguistique, religieuse, etc.,
suppose la réunion de toutes ces conditions ou de quelques-unes d’entre
elles.
Au fur et à mesure que l’humanité primitive évolue, cours des siècles et
des millénaires passés, que les divers groupements sociaux se mêlent ou
se mélangent et que la vie économique, sociale et politique devient
plus complexe, la race, la langue, la religion, le territoire, le
gouvernement, etc., ont toujours aidé les hommes à se constituer de plus
en plus à l’état de nation. Mais le rôle et l’importance de chacun de
ces éléments, comme lien national, ont souvent varié, suivant les pays,
les groupements, les circonstances et les époques.
On a prétendu qu’il n’y avait pas de nationalité chez les peuples de
l’antiquité, à cause de l’esclavage, de l’existence des castes, des
classes, privilèges, etc., au sein d’un même groupement social. C’est là
évidemment une vue très étroite de l’histoire. L’inégalité des
conditions sociales n’est guère inconciliable avec la notion de la
communauté nationale. Si, dans les sociétés indépendantes d’autrefois,
peu d’hommes avaient le privilège de la liberté ou de l’égalité, « ces
hommes-là, même au nombre infiniment restreint, représentaient, dans
leur groupe, dans leur société, la vie nationale… Et lorsqu’un accident
quelconque, la guerre le plus souvent, venait les troubler dans la
jouissance des biens qu’ils possédaient en commun, il s’ensuivait une
réaction, l’éveil de cette idée qui est aujourd’hui le principe des
nationalités et n’est pas douteux que cette réaction n’ont sa
répercussion dans les couches moins sensibles, mais relativement
solidaires, de la population asservie… Il s’agissait de défendre la
liberté collective bien plus que la liberté des individus. L’histoire de
l’Egypte, de la Grèce, de Rome, etc., dans les temps anciens, est
instructive à cet égard.
3. La nation moderne.
a. Définition de la nation.
La nation moderne, on l’a dit, est une formation complexe qui réunit un
nombre d’éléments, dont les uns sont essentiels et les autres
secondaires. Les éléments essentiels, qui sont nécessaires pour que la
nation existe, se ramènent à la volonté librement exprimée des individus
qui composent un groupement social, de vivre en commun dans un
territoire défini. Cette définition implique un élément subjectif
9volonté de vie commune) et un élément objectif (territoire).
« D’une façon générale, il faut la fusion des éléments subjectif et
objectif pour créer une nation homogène,… la prédominance des notions de
race, de langue ou de droit historique mène facilement à l’impérialisme
» (Le Fur). « L’homme n’est esclave ni de sa race, ni de sa langue, ni
de sa religion, ni du cours des fleuves, ni de la direction des chaînes
de montagnes. Une grande agglomération d’hommes, saine d’esprit et
chaude de cœur, crée une conscience morale qui s’appelle une nation »
(Renan).
La race, la langue, la culture, la religion, l’histoire. Etc., qui sont
des éléments objectifs et secondaires, des éléments d’appoint,
concourent à créer « la volonté de vie commune », mais ne déterminent
pas nécessairement l’état de nation. Une nation peut, en effet,
comporter un certain nombre de races, de sous-races, de tribus,
d’ethnies, de peuples, de langues, de cultures, de religions
différentes. Elle peut même survivre, lorsqu’elle est soumise à une
nation ou à un Etat étrangers, de même qu’un même Etat peut comprendre
plusieurs nations. D’autre part, si toutes les nations ne jouissent pas
nécessairement de leur autonomie politique, par contre toutes les
nations asservies ou soumises aspirent à l’indépendance.
Il est donc difficile de donner du mot « nation » une définition
absolument logique et satisfaisant, qui puisse s’appliquer
indifféremment à toutes les nations, tant sont variées les formes de
cette communauté complexe. Les facteurs essentiels qui concourent à la
constitution des nations modernes et qui enchaînent entre eux les
individus et les générations d’une communauté nationale ne sont pas,
dans les diverses nations et aux diverses époques de leur évolution
respective, ni les mêmes ni de la même nature. « Tantôt la race, tantôt
la langue, tantôt le territoire, tantôt les souvenirs, tantôt les
intérêts insistent diversement l’unité nationale d’une agglomération
humaine organisée. La cause profonde de tel groupement peut être
d’espèce toute différente de la cause de tel autre ».
En effet, il est des nations composées de races essentiellement
distinctes (Blancs et Noirs aux Etats Unis, Blancs et Jaunes en
U.R.S.S.) ; il on est d’autres où l’on parle plusieurs langues (Suisse,
Belgique, Canada), où l’on pratique plusieurs religions (Suisse, Canada,
Russie) ; des peuples parlant la même langue n’appartiennent pas à la
même nation (Anglais et Américains du Nord ; Espagnols et Américains du
Sud ; Français et Vallons belges ou Genevois suisses ; Allemands et
Autrichiens, etc.). Enfin, on voit les cultes et les croyances
religieuses les plus diverses pratiquées côte à côte dans le sien d’une
même nation (Russie, Yougoslavie, Egypte, Liban, etc.).
En conclusion, la nation moderne est une entité complexe, un groupement
de familles diverses et volontairement fédérées, qui forme, dans le
cadre d’une région naturelle ou historique déterminée, un corps
organique et cohérent, une famille nationale. Son homogénéité ethnique
et culturelle est, en général, fonction de l’homogénéité géographique de
son territoire. Les possibilités économiques de ce dernier favorisent
le développement d’aptitudes spécialisées qui, transposées dans la vie
courante, détermine un genre de vie, des occupations, des habitudes, en
un mot des caractères sociaux et culturels particuliers. Dans cette
union des hommes et du territoire, ce dernier forme en quelque sorte le
corps, tandis que le groupement humain en est l’âme et l’esprit.
Nous savons que les caractères humains, individuels et collectifs, sont
modelés et façonnés par l’hérédité et le milieu physique. Lorsque « le
monde ambiant est plus puissant que le peuple qui s’y encastre, il n’en
va pas autrement de ce peuple que de l’individu : il s’y adapte, non
seulement extérieurement, mais encore intérieurement » (H. de
Keyserling).
Une contrée morcelée par la nature et dont les régions différent par le
climat, la configuration du sol, la situation géographique, favorise
difficilement la formation d’une nation organique. Cependant, l’ensemble
de ces régions dissemblables, qui groupent d’ordinaire des peuples ou
nations et parfois des Etats respectivement distincts, mais associés ou
fédérés, forme, sous la direction d’un Etat fédératif ou fédéral, une
communauté nationale, une sorte de super-nation, constituée, à l’exemple
de la nation simple, par la volonté des nations fédérées de vivre
ensemble sur un territoire et en un Etat communs. On a justement défini
le Canada par la formule suivante : « deux peuples, une nation ».
L’histoire nous montre d’ailleurs que les Etats fédéraux sont des
formations politiques essentiellement temporaires, qui évoluent
généralement, après un temps plus ou moins long, soit vers la fusion
totale en un seul Etat unitaire et centralisé ou Etat-nation, soit, mais
rarement, vers la sécession, qui amène les Etats fédérés à se séparer
de la fédération, en vue de former des Etats respectivement distincts ou
de se réunir à un autre Etat.
D’autre part, un pouvoir politique puissant et vigoureux, qui réunit par
la force ou la contrainte des pays et des peuples divers, forme, non un
Etat-nation ni un Etat fédéral, mais un Etat-empire, où l’ensemble des
populations qui le composent constitue, non une communauté nationale ou
nation, mais un agglomérat de groupes ethniques, nationaux ou sociaux,
dont l’un d’entre eux, se posant en Etat-nation souverain, se superpose
aux autres et les assujettit, pour les gouverner ou les exploiter. Créés
généralement par la force, les Etats-empires disparaissent d’ordinaire
avec les causes qui les avaient forgés, à moins que la volonté des
nations subjuguées n’en décide autrement.
Enfin, la patrie, on l’a dit, n’est pas tout à fait la nation : c’est le
pays où l’on est né, la terre à laquelle on appartient, où reposent les
ancêtres et que l’on aime par-dessus tout. Elle est « la synthèse de
tous les éléments précédents ».
b. Le territoire national.
Nous avons vu que le milieu physique exerce une influence sur les
hommes, qu’il façonne leurs caractères ethniques, qu’il a répercussion
sur leurs sentiments et aux leurs actes et que les comportements du
groupement social traduisent en partie le tempérament des individus qui
le composent. Nous savons aussi qu’un milieu géographique plus ou moins
individualisé (région naturelle ou région historique) contribue à la
formation d’un groupement humain plus ou moins homogène et favorise
l’élaboration et le développement d’une communauté nationale ou
politique, en imprimant aux divers groupements ethniques qui la
composent une unité psychologique plus ou moins organique et distincte
et en suscitant chez ces groupements le désir et la volonté de vivre en
commun et de coopérer dans la lutte pour l’existence. Ce milieu
géographique, cette région naturelle ou historique, c’est le territoire
national.
Le territoire d’une nation n’est donc pas seulement l’espace terrestre
sur lequel elle vit et où les organes politiques exercent leurs
pouvoirs. « La terre fournit le substratum, le champ de la lutte et du
travail, l’homme fournit l’âme » (Renan). Les individus qui font partie
de la nation sont les enfants d’une partie territoriale, d’une
mère-patrie, plutôt que les descendants lointains d’un ancêtre commun,
historique ou mythique, réel ou supposé. Ils sont compatriotes ou
concitoyens les uns des autres, sans être nécessairement pour cela,
comme chez les tribus primitives, nomades ou semi-nomades, congénères ou
coreligionnaires.
Le lien national qui lie entre eux ces associés sédentaires est donc plus géographique que linguistique, culturel ou religieux.
L’histoire nous montre que, si « la guerre a été l’un des éléments les
plus puissants de l’unification des peuples,… (cette unification) se
confond à peu près complètement avec un autre élément : la forme du
territoire » (Charny). Le mot pays désigne « un territoire habité par
une collectivité et constituant, avec sa population, une réalité
géographique dénommée ». Les deux notions de pays et de région « ont
ceci de commun, qu’ils expriment, l’une et l’autre, des individualités
ou… des groupes naturels, dans lesquels entre un élément humain ».
Nous avons vu qu’entre une terre et le peuple qui l’habite depuis plus
ou moins longtemps, se forment des relations réciproques et plus ou
moins entremêlées. « Si ce peuple est composite, s’il fut formé
d’apports successifs au cours des âges, les combinaisons se multiplient…
Qu’il s’agisse de sa constitution ethnique, qu’il s’agisse de sa
constitution psychologique, ce peuple est… une création d’une certaine
donnée géographique » (P. Valéry). « Le pays où s’est formée la nation
française a agi sur elle à la fois par sa nature, qui a déterminé le
genre de vie des habitants, et par sa position, qui a décidé les
relations de son peuple avec les autres peuples du monde » (Seignobos).
« Nul se conteste qu’il n’existe un rapport entre une civilisation
historique et la terre sur laquelle elle se développe » (Delas). La
civilisation pharaonique est inconcevable sans la vallée du Nil ; il en
est de même des civilisations babylonienne et arabo-abbâsside, qui sont
inséparables de la configuration et de la situation géographique des
terres alluviales du bassin du Tigre-Euphrate ». L’histoire de la
Phénicie antique et du Liban moderne serait impensable sans le complexe
géographique constitué par un massif montagneux qui surplombe la
méditerranée orientale, au centre d’une contrée qui forme un carrefour
de routes internationales, entre les trois continents du vieux monde.
Dans l’évolution historique multimillénaire de ces diverses sociétés, le
rôle de la race, de la langue, de la religion, de la culture, est
subordonné à celui du territoire.
En conclusion, le territoire est un élément essentiel de la nation et de
l’Etat. La tribu nomade elle-même en a un : c’est celui où elle campe
et se déplace. C’est grâce aux caractères particuliers dont le
territoire marque l’ensemble des individus qui composent une communauté
nationale que celle-ci se distingue de celles qui l’entourent et tend à
se développer parallèlement à ces dernières et souvent à leur exclusion.