Jawad Boulos

Influence de l’histoire et de la géographie sur la formation des peuples et des nations

1. Importance de l’histoire scientifique

Pour être utile et efficace, toute politique doit s’appuyer sur l’expérience ; or, l’expérience individuelle est peu de chose par rapport à l’expérience des générations humaines qui nous ont précédés dans l’espace et le temps. « La vérité historique est une vérité de fait, non une vérité rationnelle » —- « La logique de la vie n’est pas toujours celle de la raison pure ».

L’histoire est une science expérimentale. Elle est, en effet, la politique du passé ; et la politique du présent est l’histoire de l’avenir. Les causes générales qui déterminent l’activité des peuples, dans le passé et le présent, sont toujours les mêmes, en dépit des changements superficiels intervenus ici et là, parce que l’âme humaine n’a guère été profondément modifiée par ces changements. Aussi, l’histoire restera-t-elle la sage conseillère des peuples et de leurs chefs politiques.

« Un homme d’État qui ne connaît pas l’histoire », dit l’historien français Jacques Bainville, « c’est un médecin qui n’est allé ni à l’hôpital ni à la clinique, qui n’a étudié ni les cas ni les précédents ».

L’histoire considérée comme école politique et sociale n’est pas l’histoire traditionnelle, qui se contente de la narration des événements passés. C’est plus exactement l’histoire synthétique ou scientifique, celle qui recherche et expose les causes réelles et profondes qui déterminent les événements passés. C’est la recherche des lois ou constantes historiques qui gouvernent l’activité des peuples dans les divers domaines de la vie. Ces causes, lois ou constantes historiques sont elles-mêmes déterminées par les facteurs physiques ou géographiques de leur milieu.

En bref, « la politique est fille de l’histoire, l’histoire est fille de la géographie, et la géographie ne change pas ».

2. La géographie, facteur essentiel de l’histoire.

Nous avons dit, dans les numéros précédents de cette Revue, que le Liban, comme la plupart des pays du monde, est une création de la géographie et de l’histoire. La géographie humaine ou l’histoire géographique indique les relations entre l’homme et le milieu physique où il vit et l’action des éléments physiques sur l’évolution des sociétés humaines. Les causes générales qui déterminent cette évolution se réduisent à quelques éléments, dont les plus importants dont : le milieu physique ou géographique, les caractères ethnique et les nécessités de la lutte pour l’existence. Mais comme les caractères ethniques sont plus ou moins façonnés par le milieu physique, et comme les nécessites de la lutte pour l’existence sont déterminées par les caractères ethniques, il s’ensuit que le milieu physique, qui comprend, à la fois, le climat, la nature et le relief du sol et la situation géographique, est un facteur essentiel de l’histoire.

« L’hypothèse d’un rôle joué par le milieu, dit historien français H. Berr, n’a plus besoin d’être confirmée : elle ne demande qu’à être précisée… Le climat, le terrain, la nourriture exercent une action physico-psychologique directe. Peut-être aussi le paysage… La manière de vivre que le milieu entraîne réagit sur la formation du caractère… Le milieu agit historiquement : la « situation » (géographique) invite les groupes humains au mouvement ou, au contraire, leur limite l’espace… Le milieu est donc un puissant moteur historique »

C’est surtout le climat qui donne un caractère d’unité et presque d’uniformité à une région géologiquement différente » : (vallée et delta du Nil). Par contre, des régions voisines et géologiquement semblables, mais dont le climat et le sol sont différents, marquent leurs habitants respectifs de traits généraux plus ou moins dissemblables.

Et l’historien français Ch. Seignobos affirme : « La nation française a été marquée par la nature du sol où elle s’est formée et qui a déterminé le genre de vie des habitants, comme elle a été marquée par la situation géographique du pays, qui a déterminé les relations du peuple français avec les autres peuples du monde. »

Parlant du Liban, l’écrivain français X. de Planhol, écrit : « La plus haute montagne du Levant dépassant 3000 mètres, la plus favorisée par les conditions hydrologiques… jouissant par ailleurs d’un contact avec la Méditerranée, dominant de ses pentes abruptes les anses et ports du littoral… Ce double caractère de haute montagne vouée à l’indépendance et de montagne maritime ouverte aux influences extérieures explique que le Liban ait été le support d’une construction politique qui est parmi les plus vigoureuses et les plus originales du Proche-Orient ».

En conséquence, les caractères humains, innés ou héréditaires, qui distinguent les divers peuples les uns des autres, sont façonnés et modèles par les conditions physiques de leurs respectifs.

De tous les peuples de l’Orient, le peuple syrien est celui qui, au pont de vue physique, s’apparente le plus au peuple libanais. Cependant, la différence des conditions physiques des deux pays (climat et situation géographique, voisinage du désert pour l’un et de la mer pour l’autre) a marqué leurs habitants respectifs, depuis les origines, de caractères psychologiques distincts et de destinées politiques différentes.

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